Amertumes

Comme il paraît que les français se sont défoulés avec le résultat que l'on sait à la présidentielle ; moi aussi, je vais me défouler comme je peux contre tous ceux qui ont permis que le choix du deuxième tour soit entre un nostalgique de Pétain et un pantin grotesque.

"C'était juste histoire de rigoler..."

En 1997, on nous disait que les préoccupations essentielles des français étaient le chômage, la moralité de la vie publique, le non-respect des engagements politiques et l'impuissance des gouvernants a entreprendre de vraies réformes. Il fallait réhabiliter l'action publique.

Lionel Jospin est devenu premier ministre avec une exigence toute entière tournée vers la réponse à ces préoccupations.

Il a mis en place des milliers d'emplois jeunes pour commencer à réduire la désespérance des jeunes sans emploi et a par la suite contribué à réduire le chômage comme cela n'avait jamais été fait depuis 20 ans.

Il a respecté l'essentiel des engagements pris lors des législatives de 1997, en menant à bien les réformes promises (35 heures, PACS, couverture maladie universelle, allocation autonomie pour les personnes âgées…) et en démontrant par là que la démocratie peut être respectée et que les réformes sont possibles.

Il a démontré une intégrité personnelle et un respect de son gouvernement pour la moralité publique que personne n'a contesté, allant jusqu'à se séparer de l'un de ses meilleurs ministres (DSK) pour un semblant d'affaire qui s'est d'ailleurs dégonflée ensuite comme une baudruche.

Il a obligé ses ministres a respecter le non-cumul des mandats, au prix de vraies difficultés dans certains cas.

Résultat : les français ont mis en tête du premier tour super-menteur et super-facho.

Autrement dit, une bonne part des citoyens ont montré à cette occasion qu'ils se moquaient bien de tout cela au fond d'eux-mêmes.

Loin de la hauteur de vue prétendue, ils se sont comportés comme ces téléspectateurs passifs, irresponsables et complaisants, vautrés sur leur canapé et zappant entre les chaînes au gré de leur humeur du moment.

Au fond, ce Jospin trop rigoureux et sérieux les ennuyait. Son show manquait de paillettes. Il n'était pas assez sexy. Certains ont préféré rester se prélasser au rayons du soleil. D'autres se sont amusés à le virer du loft. Pour voir. A tout hasard.

"Vous me connaissez..."

Sans projet ni idées, Chirac n'avait qu'une obsession, celle qui le guide depuis 30 ans : rester le meilleur candidat aux élections.
Quand la boîte à idées est vide, il reste toujours la vieille recette : faire peur. Alors va pour la sécurité.
Pendant ce temps, on ne parlera pas du reste, et les concurrents de droite sont inaudibles. Double bénéfice.
Et tant pis pour les effets collatéraux, comme en 1983, s'il faut partager le fonds de commercer avec le gros borgne.
Il sera toujours temps ensuite de se réclamer des mânes de la république éternelle…

"Ma petite boutique d'abord..."

Loin de l'arrogance reprochée aux socialistes, Jospin avait voulu remettre le respect de la diversité des histoires et des sensibilités au cœur de la gauche plurielle.
Il avait donné à chacun une place éminente, parfois même disproportionnée à son poids originel, histoire de favoriser une confrontation constructive, de favoriser l'émulation commune plutôt que la concurrence mortifère.

Passé le temps des récompenses et de l'enrichissement, les petits épiciers de la gauche ont préféré regagner leur petite boutique dès les premières difficultés, et mettre à l'abri leurs maigres réserves plutôt que de contribuer à l'enrichissement du fonds commun.
Chacun a voulu faire son petit tour sur la piste et mettre sa boutique sur le marché de la présidentielle.
Incapables de proposer une alternative crédible et de valoriser leurs apports, d'ultimatums en avertissements, de railleries en dénonciations, il se sont rabattus sur la critique généralisée de Lionel Jospin, espérant chacun tirer profit d'un bout des récriminations pour augmenter leur petit capital, réserver une ou deux circonscriptions de plus, un ou deux portefeuilles ministériels supplémentaires…

Aujourd'hui, plus personne n'a le coeur à danser sur leur petite musique. Ils n'ont plus rien à marchander.
A trop se comporter comme des parasites, ils ont eu la peau de l'animal et s'en trouvent fort marris.

"C'est pas ma faute !"

Les révolutionnaires ne croient pas au jeu parlementaire. Ils n'en attendent rien.
La solution est dans la lutte et dans la rue.
Mais comme les masses se font désirer, à défaut de construire le grand mouvement social, on va pourrir la vie des autres. C'est bien connu, le grand capital ne se maintient qu'à cause de la trahison qui est inscrite dans les gênes même de la social-démocratie.
Donc, quelque part, et quoi qu'on en dise, le problème principal ce n'est pas la droite, mais la gauche parlementaire. Surtout quand son représentant à l'outrecuidance d'être passé dans ses rangs un jour !
Et puis, l'heure tant espérée est enfin venue de plumer à son tour la volaille communiste.

Et voilà pourquoi le gauchiste, toujours emporté par sa haine de proximité, passera l'essentiel de son temps à vomir de critiques les autres formations de gauche. Inutile de s'en prendre à la droite : on " sait très bien " ce qu'il faut en penser, n'est ce pas ?

Le gauchiste n'a cure des réformes. Au mieux, ce sont des mesures " arrachées " par la lutte sociale, au pire, des ruses pour mieux berner les masses.
On régularise 100 000 sans papiers ? lI fallait ouvrir les frontières !
On fait les 35 heures réclamées depuis 30 ans ? C'est un piège pour imposer la flexibilité !
Les emplois-jeunes ? Il faut les titulariser immédiatement !
Et quand on ne peut pas critiquer, on en parle pas.
Les revendications n'ont d'intérêt que si elles permettent de dénoncer les socialistes.
Oublié le droit à la sécu pour tous dès lors que le gouvernement met en place la CMU !
Oublié le droit de vote des immigrés élections locales à l'instant même où Jospin l'intègre dans son programme !

Et surtout, éviter à tout prix de construire quoi que ce soit de durable entre révolutionnaires.
Toujours trouver le mot qui distingue, l'orientation qui justifie la division.
Dès fois que l'on soit obligé un jour de rendre des comptes, de sortir de l'irresponsabilité du "cépasmafaute" !

"Et moi, et moi, et moi..."

Qu'est-ce qu'il va me donner à moi votre candidat ?

Voilà le cri du cœur de tant de citoyens qui se piquent de générosité devant le Téléthon ou les restaus du Cœur une ou deux fois par an, et bornent le reste du temps leur notion de l'intérêt général à la satisfaction de leur confort personnel.

Des salariés à l'emploi garanti qui versent une larme contre l'exclusion mais ne se bougent que pour leur prime de fin de mois. Des gros cons qui votent en fonction des dates d'ouverture de la chasse.
Des médecins qui n'ont jamais accepté qu'on remette en cause leur droit d'essaimer dans les beaux quartiers et font pleurer cosette sur le sort de leurs confrères des campagnes.
Des diplômés plein de compassion pour la classe ouvrière mais qui veillent jalousement à ce qu'on n'ouvre pas leur profession à la plèbe qui n'est pas passée par les mêmes écoles.

Et que dire de tant de ces syndicats, ces associations professionnelles et autres groupes de pression aux responsables inamovibles qui admonestent les députés, grenouillent dans les couloirs des palais ministériels pour exiger leur dû, tancent les politiques, ironisent sur leur incompétence, bloquent les réformes voire se dédouanent de celles qu'ils ont demandé quand elles tournent mal, mais se réfugient naturellement, quand vient l'heure des choix, dans un respectable silence au nom de la neutralité ?

"Pas de mauvais procès..."

L'animateur médiatique, parfois aussi connu sous le nom étrange de journaliste, est horrifié par le score de Le Pen. Il dit sa honte et fustige la cécité générale de ceux qui ne l'avaient pas vu arriver.
Si par hasard, Jospin s'était risqué à souligner le danger durant la campagne, l'animateur médiatique se serait senti légitime à dénoncer le recours à cette vieille ficelle électoraliste.

L'animateur médiatique s'interroge sur les peurs de la société française.
Il ne comprend pas pourquoi la sécurité est devenue une obsession alors qu'il n'a fait que mettre en spectacle des faits divers durant deux mois.

L'animateur médiatique déplore que les débats ne portent pas sur les grands dossiers de fond de la société et explique la lassitude des français pour les petites phrases.
Quand un homme politique prononce un discours public d'une heure sur les DOM-TOM, l'animateur médiatique fait sa une avec une phrase prononcée au fond d'un avion autour d'un verre.

L'animateur médiatique pense que le débat devrait porter sur les programmes plutôt que sur les coupes de cheveux des candidats.
C'est pourquoi il consacre de longs reportages à la psychologie des candidats, à leurs femmes, à leurs amis, à leur costume et à la couleur de leurs fonds de scène.

L'animateur médiatique déplore que personne ne s'engage sur de grandes réformes de la société et opère des choix courageux. Mais il mobilise en urgence quatre représentants de corporation, deux experts et quatre micro-trottoirs pour souligner combien toute promesse ambitieuse est irréalisable, autoritaire ou dangereuse.

L'animateur médiatique ressasse inlassablement que tout se jouera entre Chirac et Jospin et que les électeurs du centre feront la différence.
C'est pourquoi il ne comprend pas pourquoi les électeurs l'ont cru et ont émis un vote de protestation contre ce face à face annoncé.