Que veut vraiment Chevènement pour l'éducation ?

Sur le terrain éducatif comme ailleurs, Jean-Pierre Chevènement est certainement susceptible de rallier un certain nombre de suffrages du côté de tous les conservateurs ou nostalgiques, qu'ils soient à gauche ou à droite, au-delà de l'image du ministre de 1984 qui voulait réintroduire la Marseillaise à l'Ecole.

Dans le secondaire : la nostalgie du lycée napoléonien

Sa doctrine actuelle est d'abord marquée par le soutien bruyant que lui apporte Danielle Sallenave.
Cette dernière est en effet le porte-drapeau depuis quelques temps de tous ceux qui, sous couvert d'élitisme républicain, s'insurgent contre toutes les réformes pédagogiques qui essayent de prendre en compte la diversité des élèves d'aujourd'hui.
Elle s'était signalée par des diatribes à la limite de la diffamation contre Meyrieu, soupçonné d'être l'idéologue de l'abaissement du niveau, de la destruction des disciplines ou de la dilution du savoir.
Pour ces gens là, le salut de l'école ne passe que par la restauration pleine et entière des disciplines existantes (quant aux nouvelles, qu'elles se débrouillent !), de l'autorité du maître, des formes les plus traditionnelles d'enseignement et de l'organisation strictement centralisée du système éducatif, avec le rôle central des grands examens nationaux.
De fait, les principes à retrouver sont ceux qui inspiraient le lycée napoléonien, et non pas l'école de Jules Ferry, contrairement à ce qu'ils disent.
En effet, cette école là n'auraient jamais trouvé grâce à leurs yeux, avec ses maîtres recrutés au niveau régional avec un faible niveau de diplôme et ailleurs qu'à l'université, avec ses contenus qui privilégient l'acquisition d'une culture commune de base plus que de savoirs disciplinaires, avec l'instituteur plus tuteur des enfants que dispensateur de savoirs, avec une écoles étroitement liée à son environnement par son statut communal, etc.
Contradiction potentielle : le ministre Chevènement s'est fait également en 84-86 le propagandiste des 80% d'une classe d'âge au niveau du Bac, slogan que n'apprécient pas une bonne partie de ses soutiens…

Dans le supérieur et la recherche : une vision colbertiste et élitiste

Au niveau de l'enseignement supérieur, si son bilan de Ministre est inexistant (mis à part un alourdissement des horaires des enseignants du supérieur), il s'est en revanche signalé en 1986 lors du projet Devaquet.
En effet, à rebours de la position spontanée de la gauche, Chevènement et ses amis ont alors jugé que le projet Devaquet allait dans le bon sens, la sélection lui semblant tout à fait cohérente avec l'élitisme républicain. Et il a fallu que s'enclenche le mouvement étudiant à l'automne pour que cessent les discussions dans le groupe socialiste, dans lequel Chevènement plaidait pour une abstention ou une critique modérée.
D'ailleurs, l'un des ses proches conseillers actuels en matière d'enseignement supérieur et de recherche, Jean-Jacques Payant, s'était signalé alors (il était président de l'université Grenoble 1) par une tribune dans Le Monde de soutien au projet Devaquet qui avait provoqué quelques remous.

Signalons au passage que Chevènement n'est pas du tout, dans le supérieur, hostile à la pénétration des milieux professionnels dans l'enseignement.
Pour lui, l'enseignement et la recherche doivent être un moyen de renforcer la puissance et l'indépendance française de l'industrie ( Jean-Jacques Payan illustre cette conception, qui a occupé les fonctions de directeur de la recherche chez Renault ou de président de l'Université Technologique de Belfort-Montbéliard, après avoir été notamment directeur général du CNRS).

Dans le même sens, fidèle à une conception héritée de la Révolution française et reprise par De Gaulle, il est aussi culturellement attaché au système des grandes écoles et des grands commis de l'Etat, milieu dans lequel il compte de nombreux soutiens depuis le CERES jusqu'à aujourd'hui.

Il y a un point en revanche sur lequel la droite ne trouvera pas en Chevènement l'écho de ses préoccupations : la recherche.
Alors qu'une bonne partie des personnalités de droite qui s'en occupent dénoncent aujourd'hui la lourdeur bureaucratique et le poids des syndicats dans le CNRS, Chevènement a toujours été fidèle à la conception colbertiste de la recherche : des grands projets nationaux, pilotés de façon centralisée, dans des grands organismes séparés des universités.
Comme ministre de la recherche dans les années 80, il a d'ailleurs puissamment contribué au renforcement de ces organismes et à toutes ses instances internes de pilotage qui laissait un rôle majeur aux élus syndicaux, en délaissant la recherche universitaire.

D'ailleurs, et c'est là sans doute le talon d'achille peu connu de Chevènement, sa pratique de Ministre dans les différents postes qu'il a occupé témoigne d'un souci constant de ménager les susceptibilités syndicales en leur accordant une place considérable dans les administrations et la définition des politiques publiques.
Avec une préférence de longue date pour la CGT, FO et ce qui est aujourd'hui la FSU ; et une hostilité non déguisée pour la CFDT.

En conclusion, derrière une façade énergique de républicain autoritaire, Chevènement est avant tout le candidat des mandarins et des conservateurs attachés au statu quo.
Seul le flou artistique sur ses orientations éducatives permet de flatter des soutiens contradictoires : les enseignants de gauche n'entendent que le plaidoyer pour le cadre national et la restauration de l'autorité dans la classe, la caste des grandes écoles entend la petite musique gaullienne et nationale qui légitime le système des élites d'Etat, les conservateurs apprécient la tonalité anti-soixante huitarde et le nationalisme industriel.

Un extrait significatif de l'essai de Danièlle Sallenave (" Lettre mortes ") :
"Oui, l'Ecole (...)est contraignante(...) chacun s'accorde à considérer que le sport demande du temps, de l'effort et qu'on y pratique nécessairement une sélection : en d'autres termes, qu'il est profondément mais non injustement inégalitaire.
Or ce sont ces deux points que récuse entièrement l'idéologie qui prévaut à l'école, de la maternelle à l'université.
En acceptant tout le monde dans les universités on met les jeunes gens, pendant deux, voire trois ans, hors des statistiques du chômage. Et à quoi bon un vrai apprentissage de la réflexion, du goût et du jugement quand tout ce que demande la moderne société de consommation, ce n est pas un citoyen actif, mais un employé mal payé, rivé à ses traites, à ses visites au supermarché, à sa télévision débilitante ? Si le monde est entièrement soumis aujourd'hui, jusque dans ses inégalités de développement, à la volonté de faire circuler des marchandises et de les vendre, pourquoi former de vrais diplômés? De faux diplômés joueront tout aussi bien le rôle. Ce n'est plus une société, c'est un Monopoly(...)
On en revient à cette idée paresseuse et commode que l'échec est un scandale. Pour y répondre, avant de dire que le diplôme est automatique, il fallait inventer une sorte d'examen sans risque (ou à risque minimal). Ce genre d'examen à risque minimal s'appelle contrôle continu.
Le contrôle continu n'est pas " plus juste "qu'un examen; sauf si on postule que l'examen est la perte de la connaissance générale des textes les plus communs de notre culture, l'ignorance des langues anciennes, ou de l'état ancien de notre langue quand ce n'est pas de la langue écrite d'aujourd'hui, rendent de plus en plus problématique un enseignement des Lettres.
Il n'est pas jusqu'à la déchristianisation (au sens culturel, non au sens religieux) qui n'ait des effets négatifs et ne rende parfois impossible la lecture de textes classiques, donc le partage et la compréhension de la réflexion qui les animait."

Voir aussi la position du MDC sur l'éducation (très floue) :
http://21septembre.free.fr/2_0102.htm

Celle de Sallenave :
http://21septembre.free.fr/2_0242.htm