Quoi faire pour l’éducation ?



 Le problème central de l’école d’aujourd’hui est bien connu : trop d’enfants, dès les plus jeunes classes de l’école primaire, sont décrochés par rapport aux exigences élémentaires du système éducatif.
On connaissait la figure du " cancre " prés du radiateur.
Ceux pour qui on se contentait d’attendre qu’ils en aient fini avec l’âge de la scolarité obligatoire, pourvu qu’ils ne dérangent pas les autres.

 Aujourd’hui, le problème a atteint un niveau plus critique, avec des élèves étanches à toute pénétration de l’enseignement, et des phénomènes extrêmes comme la violence.
Il suffit, dans une classe de 25 élèves, d’avoir une demi-douzaine de " cas " (quatre qui sont largués et deux qui sont intenables par exemple), pour que toute vie scolaire normale soit gravement altérée.

A cela, l’impasse courante consiste à répondre en terme de contenus à transmettre. Qu’il s’agisse de l’argument " il faut recentrer l’enseignement sur les savoirs fondamentaux " ou " il faut assurer le niveau d’exigence et ne plus laisser errer dans le système des élèves qui n’ont pas acquis les bases ".

 En effet, le problème se noue ailleurs : dans le comportement même de l’enfant par rapport à l’acte de transmission du savoir.

Quand le milieu socio-culturel de l’élève ne lui a pas permis de s’approprier l’adhésion minimum aux règles du jeu qui conditionne la possibilité même de recevoir un savoir quelconque.
Ce qui est ici en cause, ce sont des constats usuels bien connus :
- distance culturelle telle que le langage même des savoirs paraît relever d’une autre planète
- comportement général impropre au minimum de vie collective qu’implique la vie scolaire (indiscipline générale)
- déficit grave de capacité d’attention et de concentration sur un objet un tant soit peu abstrait (zapping perpétuel)

On peut toujours mettre le paquet sur des apprentissages dits fondamentaux à l’école primaire, les enfants qui sont dans cette situation décrocheront de toutes façons, au mieux au niveau du collège.
Mais qu’en faire alors ?

Ce n’est pas totalement nouveau : même durant le mythique " âge d’or " de l’éducation nationale, ce n’est qu’une élite qui passait les portes du certificat d’études.
Combien d’enfants des milieux ruraux ou issus de familles d’artisans, d’ouvrier ou de petits commerçants ne sortaient du système scolaire qu’avec des rudiments d’écriture ou de calcul ?

Ce qui est nouveau, c’est que dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a quasiment plus de place pour celui qui ne maîtrise pas l’expression écrite et orale … sans même parler de niveaux de qualification !

De nombreux enseignants se plaignent de l’hétérogénéité des classes, euphémisme pour dire qu’il y a trop d’élèves qui n’ont pas, à leurs yeux, leur place dans le système existant.
Ce faisant, ils expriment en fait l’idée que, dans les conditions actuelles de transmission du savoir par le système éducatif constitutif du métier qu’on leur a appris, il y a une proportion excessive d’élèves qui ne peuvent ou ne veulent pas " jouer le jeu ".

Par facilité ou démagogie, certains, notamment parmi leurs représentants syndicaux, plaident pour des changements marginaux des conditions d’exercice du métier : plus de profs que de classes, travail en petits groupes, diversification des filières…
Réponse illusoire ou hypocrite : infaisable (quel pays peut se permettre d’engloutir toutes les marges de manœuvres budgétaires dans les postes d’enseignants ?) et surtout insatisfaisante.
Qui croit sérieusement qu’un enseignement traditionnel qui n’arrive pas à faire réussir la moitié d’une classe réussira à en " repêcher " 10 de plus, simplement parce-qu’il enseignera à 15 au lieu de 22 ?
Les enseignants qui ont quelques cas dans leur classe le disent eux-mêmes : certains appellent carrément du suivi individuel !
De telles améliorations, déjà coûteuses, ne peuvent donc résoudre la plupart des problèmes aigus qui se posent dans de nombreuses écoles, car ils ne changent pas la nature qualitative de l’enseignement.

Ce qui est en cause, c’est le rapport même de l’enfant par rapport à la transmission du savoir, c’est un véritable problème de socialisation, dont l’école n’est qu’une des expressions les plus tangibles par le simple fait qu’elle est obligatoire et qu’on y passe des journées entières.
Demandez aux éducateurs de football s’ils ne constatent pas les mêmes problèmes, quand ils essayent d’encadrer des équipes de jeunes !

Certains populistes (fussent-ils des anciens élèves de l’ENS) parlent de " sanctuariser " l’école. Derrière ce discours martial, il n’y a que du vent. Que fait-on des enfants qui risquent de troubler le sanctuaire ? On les laisse à la rue ? On les met en maison de correction ? (en prévoir à peu prés une pour chaque collège existant).

Comme on ne peut se satisfaire de la constatation de bon sens que l’école ne peut pas " résoudre tous les problèmes ", il faut quand même essayer d’imaginer des solutions plus raisonnables.

1- Si le problème vient de la socialisation élémentaire à la vie collective, alors c’est d’abord sur ce terrain qu’il faut agir.

Cela implique de sortir du paradigme traditionnel de l’école comme seul lieu de transmission des savoirs, pour assumer les dimensions plus larges de l’éducation. Autrement dit, l’acte de transmettre des savoirs académiques doit coexister, dans l’école, avec des actions d’apprentissage de la vie collective et des règles sociales : hygiène, propreté, discipline, politesse, ponctualité, respect des biens et des personnes, travail collectif…
Conséquence : comme il ne peut s’agir de transformer les enseignants en éducateurs sociaux, ceux-ci ne doivent plus être considérés comme les acteurs pivots de tout le système.
Il faut aller jusqu’au bout de la notion d’équipe éducative, accorder la priorité au recrutement dans les établissements de personnels non-enseignants, formés pour socialiser les enfants et les élèves, et non pas pour assurer l’intendance de l’enseignement, et ne pas hésiter à remplacer des heures d’enseignement traditionnel par des heures d’encadrement obligatoire assuré par des éducateurs.
Cela peut paraître évident, mais implique notamment d’aller à la confrontation avec les syndicats enseignants qui n’ont jamais vraiment accepté les implications concrètes de cette orientation.

;2- Mobiliser les acteurs sociaux autour de l’école

Il faut redonner un nouveau souffle à l’éducation populaire, ce qui passe en premier lieu par la reconnaissance d’une dimension éducative globale à toutes les activités qui peuvent représenter un chemin différent pour éduquer un jeune (sport, culture, activités manuelles…).
Le péri-scolaire ne doit plus être vu comme un mode d’occupation " après les cours ", ou comme un supplément d’âme de l’extérieur.
Il doit être intégré et maîtrisé dans le cadre du projet éducatif : les intervenants à statut non éducation nationale ne doivent plus être considérés comme des intervenants " extérieurs ", soit libres de faire ce qu’ils veulent, soit au contraire soumis au bon vouloir des enseignants, mais comme des partenaires qui s’intègrent dans une démarche globale.
A cet égard, je ne vois pas comment construire des projets éducatifs efficaces tant que la responsabilité fondamentale du projet reste dans les mains d’un échelon déconcentré de l’éducation nationale (Rectorat), loin du terrain et incapable de faire face à l’extrême complexité des situations.

Les différents dispositifs de coordination entre services de l’Etat (sur le transport, la sécurité, etc.) n’ont jamais fonctionné correctement, tant qu’un représentant responsable devant le peuple n’intervenait pas pour faire prendre la mayonnaise.

Il faut sans doute en la matière passer à une nouvelle étape de la décentralisation, et donner aux élus locaux un rôle plus important dans l’école, avec notamment la gestion et le recrutement des personnels non-enseignants.
Qui, mieux qu’eux, peut coordonner l’ensemble des acteurs locaux susceptibles d’apporter une contribution utile ?

C’est aussi un moyen de mettre un peu plus de démocratie en la matière : le jour où les parents pourront interpeller leurs élus locaux sur ce qui passe dans l’école, plutôt que de se perdre dans un bureau anonyme du rectorat, les choses changeront notablement.

 3- Ne pas hésiter à s’engager dans la voie du suivi individualisé

 Il y a des situations extrêmes où des jeunes ont besoin d’une écoute et d’un suivi personnalisé. Pas seulement quand ils posent des problèmes de discipline ou de violence, mais aussi plus banalement quand ils sont largués (il serait paradoxal qu’on ne s’intéresse qu’à ceux qui nuisent à leur entourage !).
Sous couvert de soutien scolaire, des associations de bénévoles accomplissent souvent un travail de médiation sociale qui permet à l’enfant, voire à sas famille, de reprendre pied dans le système, car les problèmes scolaires n’étaient qu’un symptôme d’un décrochage plus global.

Il faut donc non seulement intégrer ce type d’initiatives dans le projet éducatif global, mais en tirer des leçons.

Plus largement, comme le disait Allègre, l’école doit être son propre recours : le tutorat individuel doit trouver une place officielle dans l’éducation nationale.
Il n’est plus possible qu’entre la situation de face à face collectif dans la classe, et les moments ritualisés de rencontre des parents avec les enseignants (un samedi matin par trimestre !), l’élève ou ses parents n’aient pas de moyens de dialogue personnalisé et " calme " avec l’institution scolaire.

Un exemple parmi d’autres : pourquoi ne pas utiliser les TIC pour offrir un dialogue permanent et individualisé aux élèves avec leur école (en premier lieu aide aux devoirs), plutôt que d’entasser des machines dans des salles dont seul le prof de techno ou un bidouilleur maison a les clés ?
Au moins, cela amènerait certains élèves à écrire, avec tout ce que cela signifie comme acte premier de l’apprentissage (se poser, traduire une idée, construire une argumentation…).

Je ne serais pas choqué qu’on réduise d’une heure ou deux le temps de service des enseignants, en échange d’une mise à disposition de leurs élèves de leur adresse électronique (avec engagement de réponse…).

Quand on voit le nombre de téléphones portables ou de jeux électroniques que transportent les élèves, je me dit que le problème principal des TIC ne sera pas l’équipement informatique des familles, mais bien l’absence d’utilisation pédagogique efficiente par le système officiel de l’éducation nationale !
Alors, commençons par faire simple : la première utilisation d’internet, la plus simple et intuitive, est le courrier électronique. Si éducateurs et élèves communiquent de concert ainsi, un premier pas considérable est déjà accompli.
Bien plus utile que la pseudo utilisation de prouesses en flash largement subventionnées par quelques comité public… OR