Que peut signifier s'ouvrir mieux au mouvement social ?

Dans le débat qui s'est ouvert cet été au sein du parti socialiste, de nombreux intervenants soulignent la nécessité d'une plus grande porosité entre la gauche politique et le mouvement social.

Si l'on adhère à ce souci, des clarifications s'imposent néanmoins rapidement.

Elles signifient par exemple :
- passer d'une posture d'écoute sympathique molle à une posture d'engagement réciproque avec les syndicats et associations, qui ne peut par définition rester dans le flou de la neutralité
- envisager que des initiatives d'acteurs sociaux soient le moyen de réalisation de politiques publiques, sans intégration dans l'Etat
- reconnaître une légitimité pleine et entière aux associations non professionnelles, et accepter par là même que les syndicats traditionnels ne constituent plus les interlocuteurs privilégiés de la vie sociale

C'est quoi le mouvement social ?

L'étiquette " mouvement social " est bien commode, mais trop floue pour être opérationnelle.
Quoi de commun entre un syndicat représentatif articulé autour d'un corps de fonctionnaire et une coordination de sans-logis ?
Quoi de commun entre une association locale d'alphabétisation et une ONG internationale ?
Quoi de commun entre une mutuelle d'entreprise ou de fédération professionnelle et une association de défense de l'environnement ?

A mettre dans le même sac le dirigeant professionnel qui passe une bonne partie de son temps à rencontrer des responsables publics dans les ministères avec le militant bénévole qui donne deux heures de son temps par semaine pour une activité en marge de sa profession, on laisse libre cours à tous les fantasmes improductifs.

Surtout, la nature des relations doit être précisée.

Une simple consultation sans frais ?

On peut se contenter d'en appeler à une meilleure écoute de ces militants sociaux, à priori vécus comme détenteurs d'une expertise théorique et pratique dans leur domaine.
Consultation, concertation, confrontation, demande de conseils : l'idée renvoie ici à une simple posture d'ouverture, qui n'engage pas les deux parties sur les résultats de cette confrontation.
Cela renvoie grosso modo à la situation typique des relations entre un ministère et les organisations professionnelles du secteur, avec des représentants sociaux qui établissent une liste de demandes, et des pouvoirs publics qui arbitrent en fonction de divers critères, chacun restant dans sa stricte logique d'intérêt.
Le représentant public évoque l'intérêt général et les contraintes liées pour expliquer qu'il ne prend en compte qu'une partie des demandes.
Le représentant social évoque l'intérêt de son secteur et de ses mandants pour asséner que le compte n'y est pas et que l'effort est insuffisant.
Pour un Parti, la démarche d'autant plus simple que l'engagement est général et qu'il se situe dans l'opposition.
Cette démarche, sans doute utile, ne modifie pas substantiellement le cours des choses.

On peut vouloir faire participer directement les militants sociaux à la prise de décision politique.

Ce que s'engager veut dire

Première solution : définir la relation non plus comme une simple confrontation de vues, mais s'engager dans une relation contractuelle sur des orientations précises.
Le parti et tel ou tel groupe social s'engagent publiquement sur un objectif.
Autant dire que pour des raisons historiques et culturelles, peu de monde en France est prêt à explorer cette voie.
Disons même que l'hypocrisie règne en la matière : les militants sociaux préfèrent toujours mimer leur indépendance vis-à-vis des partis, quelle que soit par ailleurs la réalité des rapports qu'ils entretiennent avec une famille politique.
En matière de politiques du travail, il faudra pourtant bien un jour que le PS accepte de prendre clairement parti sur la base d'accords avec tel ou tel syndicat. Il n'est pas besoin d'être extralucide pour comprendre qu'un programme politique du PS en matière sociale devra bien un jour converger avec les orientations de la CFDT, tant pour des raisons de proximité sur les principes que pour des raisons d'efficacité.
En l'occurrence, une prudente neutralité de façade ne pourra dispenser d'une engagement clair sur le fond.
Y compris en plaçant les partenaires privilégiés devant leur responsabilité : sont-ils prêts à affirmer leur solidarité jusqu'au bout avec telle orientation, ou se contenteront-ils de se retirer dans la confortable attitude de celui qui exige dans le secret des bureaux mais laisse le politique se débrouiller avec les conséquences des choix effectués, voire en prenant prétexte de tel ou tel détail pour marquer sa distance ?

Deuxième solution : favoriser l'implication individuelle des militants sociaux dans le parti politique.
Par exemple en privilégiant des débats thématiques par rapport à la structuration en courants.
Voire en prévoyant explicitement le désignation dans les structures d'adhérents issus du monde associatif, syndical et compagnie…
Une telle disposition avait plus ou moins vu le jour au PS dans les années 90, avec la désignation de personnalités au comité directeur selon ce principe.
Résultats peu probants.
Ne serait-ce que pour la raison que le militant social qui prend des responsabilités politiques a souvent perdu en route son originalité, et surtout parce-qu'en général les personnes en situation de responsabilité dans une action sociale peuvent difficilement assumer les deux casquettes simultanément.

Et si l'action publique ne se confondait pas avec l'intervention de l'Etat ?

Enfin, beaucoup plus ambitieuse est l'idée de mettre le rôle des représentants sociaux au cœur de l'action publique. Il ne s'agit ici d'envisager délibérément que des pans entiers de l'action publique soient pris en charge par d'autres acteurs et d'autres outils que ceux de l'Etat, un peu comme une concession de service public.
Notre pays n'en pas l'habitude.

Deux seuls modèles prévalent encore de nos jours.
D'une part la prise en charge de certaines parties de la vie d'une profession par des processus institutionnalisé d'auto administration par des représentants de cette profession. On retrouver cela dans des secteurs comme la santé (ordres), l'université (recrutements et promotions) voire dans le secteur de la protection sociale (mutuelles).
D'autre part le modèle de l'organisation du " contre-pouvoir ", par la réglementation de la représentation des usagers et salariés dans des instances de consultation, du comité d'entreprise et des délégués du personnel dans le privé aux multiples instances paritaires dans la fonction publique, en passant par les commissions d'usagers ou de consommateurs dans certain services publics.
Dans tous les cas, on peut dire qu'il s'agit plus d'une intégration dans l'Etat, que d'une prise en charge de l'action publique par un acteur autonome. Et il ne semble pas que c'es de cela qu'il s'agisse lorsqu'on parle de mieux ouvrir les partis politiques au mouvement social !

Confier des orientations de politique publique à des acteurs associatifs, par exemple, relève assurément d'une autre logique.
C'est admettre que dans certains secteurs, on permette à des acteurs sociaux de mener une activité d'intérêt public, sans y engager ni des outils traditionnels de l'Etat, ni des personnels d'Etat, la puissance publique se contentant de fixer les règles du jeu global, d'injecter des moyens et d'évaluer à posteriori sans contrôle à priori (aujourd'hui, l'Etat ne sait faire que l'inverse : contrôle tatillon sur les procédures, laxisme et impuissance sur les évaluations).
Si un modèle imparfait existe en la matière, c'est celui tout bête de la subvention : au vu des objectifs d'une activité, l'Etat alloue des moyens sans plus interférer sur la gestion quotidienne de l'association.
C'est reconnaître à l'initiative privée un potentiel d'innovation qui participe de l'intérêt général.
Cela ne peut évidemment concerner tous les secteurs. Les tâches régaliennes de l'Etat, par exemple, ne peuvent être touchées (justice, police, armée, impôts…). En revanche, les secteurs de l'accompagnement social des personnes sont largement ouverts.

D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le secteur péri-scolaire est l'un de ceux qui a été le plus marqué par le mouvement associatif, même s'il est un peu aujourd'hui à bout de souffle dans ses formes historiquement datées (en partie du fait de sa prise en charge structurelle par des enseignants, qui ont -consciemment ou inconsciemment- eu tendance à y reproduire le modèle syndical de l'intégration dans l'appareil d'Etat).

Le mouvement social n'est pas soluble dans le mouvement syndical

Mais quelles que soient les solutions envisagées, le problème se posera à un moment donné de la réflexion sur le rôle des syndicats.
En effet, malgré leur faiblesse à bien des égards, les syndicats n'ont jamais tranché clairement sur leur rôle dans la société, bien aidés en cela par la prudence des partis à engager le débat sur ce terrain.

Au niveau des salariés, reprenant à leur compte à la fois l'idée de centralité du travail salarié et la tradition jacobine, ils ont développé une idéologie qui nie toute dimension horizontale de la société.
Revendiquant le monopole de la représentation dans les relations professionnelles, ce qui peut se comprendre, ils ont en même temps dénié toute autonomie aux autres relations sociales susceptibles d'action publique. Ce qui a pris de façon plus prosaïque la forme d'un cantonnement au face à face entre l'Etat et les corporations professionnelles.
Ainsi, dans un contexte marqué par l'hypertrophie de la fonction publique dans leurs rangs, les syndicats ont généralement considéré que la seule parole légitime et alternative à l'Etat sur un secteur public ne pouvait être que celle des agents publics professionnellement engagés dans ce secteur.
Cela a pris un caractère évident dans l'éducation, étant donné le caractère massif et universel de l'action publique (tout le monde passe à l'école !) et le nombre des personnels publics concernés. Mais c'est aussi vrai dans les transports, la santé, la culture, le sport, etc.
Toute activité citoyenne et collective dans ces secteurs est vécue peu ou prou comme une concurrence.

C'est souvent la même chose au niveau de certaines professions non salariés, dès lors que des considérations autres que celles du marché sont censées être prises en compte.
Ainsi, les professionnels de la santé se considèrent les plus légitimes pour intervenir en matière de politique de la santé et de protection sociale.
Et quand à l'agriculture, on voit tous les jours les difficultés à mettre en place une politique d'aménagement rural et une politique alimentaire sans subir les blocages des représentants professionnels du monde agricole !

Qu'il s'agisse des salariés ou des non salariés, à chaque fois, la plupart de leurs représentants syndicaux privilégient le modèle vertical de la profession et de l'Etat, en se défiant de l'intervention des tiers (usagers, consommateurs, citoyens).

Alors qu'on voit bien, aujourd'hui, que de nombreuses inégalités et souffrances sociales sont directement issues de logiques tenant au territoire et au cadre de vie, ces deux secteurs sont les parents pauvres de l'intervention publique, quasi-uniquement investis par le politique (collectivités locales) et les associations. Quant au niveau international et européen…

D'un point de vue théorique, il est évident qu'en tant que citoyen, mon statut social de salarié détermine une bonne partie de ma vie sociale (les ressources sociales et culturelles ne sont pas indépendantes du statut social). Mais cela ne signifie pas que mes problèmes de transport, de logement, d'accès à la culture et aux loisirs, de consommation, de cadre de vie, d'accès aux soins, de parent d'élève… sont réductibles à ma position professionnelle.
Ils sont aussi lourdement impactés par des enjeux de territoire (local et international).
Ils méritent un traitement et une politique publique tout aussi légitimes que les relations professionnelles.
Dès lors, prendre en compte le " mouvement social " pour le PS signifie par conséquent prendre en compte toutes les actions publiques citoyennes, et pas seulement celles qui s'expriment dans les cadres traditionnelles de représentation professionnelle.